Le Monde – 27/08/2020
Patrick Ramaël : « Six cents jours sont largement suffisants pour s’attaquer à la réforme de la procédure pénale d’enquête »
Le magistrat prend au mot la volonté de changement affirmée par le nouveau garde des sceaux Eric Dupond-Moretti, soulignant, dans une tribune au « Monde » l’urgence de simplifier un système d’enquête chronophage et faussement protecteur des libertés.
Par Patrick Ramaël
Tribune. La nomination d’Éric Dupond-Moretti comme garde des sceaux, le moment de surprise rapidement passé, apparaît comme une chance d’avoir, place Vendôme, une parole libre et forte pour peser dans les arbitrages de Bercy pour obtenir des moyens matériels pour la justice.
Avec facilité, l’ancien avocat a immédiatement endossé, au sens propre et au sens figuré, avec aisance, les habits de ministre même s’il a souffert, lors de sa première intervention à l’Assemblée nationale, d’être interrompu en permanence, lui qui était maître dans l’art de l’interruption des témoins et experts dans les prétoires.
L’attente est immense du côté de la justice pénale. Une fois l’absence de moyens matériels rappelée, il faut évoquer les moyens juridiques. Quarante ans d’exercice professionnel comme magistrat, dans différentes fonctions pénales, m’autorisent à pointer les faiblesses du processus pénal tant en matière de lutte contre la délinquance ordinaire que contre la criminalité organisée.
Le garde des sceaux a annoncé deux chantiers, auxquels il tenait particulièrement : l’indépendance du parquet et une réforme de l’enquête préliminaire. Il y a là, par une synthèse possible des deux réflexions sur ces thèmes, l’opportunité d’une grande et simple réforme de la procédure pénale d’enquête dont les insuffisances sont l’une des causes principales des critiques formulées contre la justice pénale. Cette procédure actuelle fait désormais fuir les enquêteurs qui se détournent des fonctions de police judiciaire, découragés par les complexités et les lourdeurs procédurales.
Machine à produire du papier
La procédure pénale est devenue, à force d’empilage de textes sans vision cohérente, une machine à produire du papier, à l’ère du numérique. Elle distrait les enquêteurs de leur cœur de métier qui est l’investigation. Le phénomène s’observe par une augmentation, depuis des années, du volume des dossiers en raison de nombreux actes formels et par la diminution corrélative du temps d’enquête des gendarmes et policiers confrontés à un formalisme chronophage, faussement protecteur des libertés.
Il faut simplifier notre système juridique en fusionnant les deux cadres que sont l’enquête de flagrance et l’enquête préliminaire et repenser le régime des enquêtes en matière de crime organisé. L’indépendance statutaire des magistrats du parquet permettra de renforcer les pouvoirs des officiers de police judiciaire qui sont placés sous leur direction. Elle fera taire toutes les critiques doctrinales et rassurera la Cour européenne des droits de l’homme.
Il y a là l’opportunité d’une grande et simple réforme de la procédure pénale d’enquête dont les insuffisances sont l’une des causes principales des critiques formulées contre la justice pénale
A ceux qui vont crier aux atteintes potentielles aux libertés, je veux leur rappeler les débats homériques, pas si lointains, sur la vidéoprotection des lieux publics. Personne, aujourd’hui, ne songerait à la remettre en cause devant le nombre d’affaires graves, y compris terroristes, résolues, par ce moyen de preuve, liberticide certes, mais surtout pour les criminels.
Un seul cadre d’enquête de police suffirait, tant les différences sont minimes entre préliminaire et flagrance mais n’en constituent pas moins des chausse-trappes.
Actuellement, comment expliquer que, pour une simple réquisition à un opérateur de téléphonie, une autorisation du procureur de la République est nécessaire dans une enquête conduite en préliminaire alors qu’elle ne l’est pas en flagrance et que l’absence de respect de ce formalisme va entraîner l’annulation des renseignements obtenus et des actes qui en découlent, dont, potentiellement l’identification de l’auteur de l’infraction ?
Il s’agit pourtant exactement du même acte, pas plus ni moins attentatoire aux libertés. Quelques lignes d’un arrêt de cassation, pour ce seul motif, peuvent réduire à néant des mois d’enquête.
Le crime organisé sous-estimé
Il importe, en outre, de disposer de moyens juridiques efficaces pour lutter contre le crime organisé dont l’importance est largement sous-estimée. Notre système a fait le choix d’une liste énumérative, limitative, d’infractions qui étendent les pouvoirs des enquêteurs et offrent la possibilité de recourir à certaines techniques spéciales d’enquête mais dans une casuistique qui en rend le maniement compliqué et risqué.
Le crime organisé doit être défini par son essence plutôt que par une liste d’infractions : tous les champs d’infractions, lorsqu’ils sont investis par le crime organisé, doivent permettre la mise en œuvre de l’ensemble des moyens et pouvoirs renforcés, sous le contrôle effectif d’un magistrat du parquet qui sera désormais statutairement indépendant.
Le besoin est urgent, six cents jours sont largement suffisants, pour s’attaquer à la réforme de la procédure pénale d’enquête. Éric Dupond-Moretti alors encore avocat, lors d’une audience d’assises, avait eu une expression très imagée pour signifier que s’il devait connaître une infortune conjugale, il ne voudrait pas, en plus, payer le prix de la chambre d’hôtel. En acceptant de s’installer place Vendôme il affronte un immense défi. Il est condamné au succès.
Patrick Ramaël, Magistrat, actuellement président de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, est l’auteur de « Hors procédure. Dans la tête d’un juge d’instruction » (Calmann-Lévy, 2015, réédition chez Enrick B. Editions, 2020).
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