Télécharger le pdf : Cliquez ici

La réforme de la police judiciaire voulue par le ministre de l’Intérieur et la mort récente de la Reine Elisabeth II me font penser à la formule des « deux corps du Roi » de l’historien allemand Ernst KANTOROWICZ, analysant l’Angleterre des Tudor au XV siècle. Elle permet d’expliquer la fiction juridique « le Roi est mort, vive le Roi ». Le souverain dispose en effet de deux corps : un corps charnel, qui peut mourir, et un corps politique qui, lui, est immortel.

La comparaison avec la police judiciaire est certes audacieuse mais réfléchissons un peu. Il y a deux corps chez un policier qui a la qualité d’officier de police judiciaire (O.P.J) : le policier, soumis à une hiérarchie classique qui peut lui donner des ordres de faire ou de ne pas faire, et l’officier de police judicaire, investi, à titre personnel, de pouvoirs propres qu’il met en œuvre, sous le seul contrôle des magistrats, dont il constitue, en quelque sorte, le prolongement.

La loi prévoit d’ailleurs que cette qualité d’O.P.J. est perdue lorsque le policier exécute une mission de police administrative : « l’exercice de ces attributions est momentanément suspendu pendant le temps où ils participent, en unité constituée, à une opération de maintien de l’ordre »1 . On voit donc le caractère spécifique de la police judiciaire qui explique les réactions au projet de faire passer les O.P.J. sous le contrôle des Préfets.

La consultation du site du ministère de l’Intérieur, avec l’interrogation « police judiciaire » mentionne : « aucune actualité trouvée ». Et pourtant…

Des enquêteurs de police judiciaire ont créé, il y a quelques jours, une « association nationale de la police judiciaire » (ANPJ) pour s’opposer au projet de réforme du ministre de l’Intérieur qui prévoit de placer, sous l’autorité d’un Directeur départemental de la Police nationale, lui-même dépendant du Préfet, tous les services de police du département (Sécurité publique, Police judiciaire, Renseignement et Police aux frontières). Ils indiquent que la dilution des effectifs de la Police judiciaire dans ceux de la Sécurité publique sera sans grand effet sur le traitement de la délinquance de masse (de la compétence de la Sécurité publique) mais affaiblira la lutte contre la grande criminalité qui ne s’arrête pas aux frontières d’un département.

L’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) a apporté son soutien à cette initiative en dénonçant « la fin annoncée de la police judiciaire ».

Le Procureur général près la Cour de cassation, lui-même, met en garde contre une réforme « porteuse d’un certain nombre de dangers ».

Que penser de cette réforme ? Il faut la replacer dans l’histoire récente de la police judiciaire.

 

Les causes du déclin de la police judiciaire

Magistrat honoraire depuis peu, je voudrais apporter, modestement, mon regard sur la police judiciaire, fruit de mon expérience de magistrat pénaliste pendant plus de quarante ans.

Je n’ai pas vu arriver, en 1995, la « réforme des corps et carrières » qui a été le début de l’abaissement, pour des raisons budgétaires, de la police judiciaire. Cette réforme majeure a fusionné la police en tenue et la police en civil. C’était la fin des inspecteurs de police. Jusqu’alors, schématiquement, les policiers en uniforme et képi s’occupaient de la tranquillité publique et les policiers en civil de l’arrestation des criminels et délinquants. En termes juridiques les premiers, en tenue, faisaient de la police administrative et les seconds, en civil, de la police judiciaire. Ensuite, des suppressions importantes de postes de commissaires de police et de fonctionnaires de police appartenant au corps de commandement et d’encadrement ont conduit à l’attribution de la qualité d’OPJ aux gardiens de la paix. Cette réforme a entraîné « une baisse préoccupante de la qualité des procédures » souvent soulignée « à raison par les magistrats »2 sur laquelle tout le monde s’accorde aujourd’hui.

J’ai assisté, en 2009, au rattachement de la Gendarmerie au ministère de l’Intérieur, officiellement voulu pour les mêmes raisons budgétaires. Un récent rapport de la Cour des comptes montre que cette idée avait été initiée du temps de Nicolas SARKOZY, ministre de l’intérieur, en 2002, sans aucune étude d’impact préalable. Le rapport conclut à des synergies opérationnelles limitées entre les deux forces de sécurité, des gains de mutualisation difficiles à apprécier et un rattachement qui a bénéficié aux personnels mais a réduit les marges budgétaires de la Gendarmerie.

Dans la réforme projetée par l’actuel ministre de l’Intérieur, on retrouve la même façon de procéder : pas d’étude sérieuse préalable et pas de concertation vraie avec les différents professionnels concernés. Il existe pourtant de nombreux spécialistes, dont des universitaires, qui pourraient utilement apporter leurs idées.

 

Quels pourraient être les remèdes au déclin de la police judiciaire ?

Deux réformes sont indispensables pour redonner efficacité à cette fonction fondamentale de l’enquête pénale dans un État de droit.

D’abord, une réforme juridique. La lourdeur et la complexité de la procédure pénale sont devenues un frein aux enquêtes.

Il faut donc refonder notre procédure pénale. Mais c’est un chantier qui fait peur car il touche aux libertés publiques et les affrontements idéologiques sont redoutés. Il faut rechercher le point d’équilibre, qui fera consensus, entre les pouvoirs donnés à la police et les libertés des citoyens. Pour cela il faut imaginer la procédure pénale que vous aimeriez pour vous, que vous soyez victime ou suspect, chacun de nous pouvant se retrouver, à un moment ou un autre de sa vie, dans l’une de ces catégories. Vous verrez que la juste mesure sera trouvée, et que la procédure sera simplifiée.

Ensuite, il faut fournir des outils informatiques qui facilitent le travail des enquêteurs en les dégageant des tâches de bureautique. Je me suis risqué à imaginer, à la manière de Jules VERNE, la police judiciaire du futur3 en citant le physicien danois Niels BOHR dont je partage l’adage : « ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité ».

De cette manière du temps d’enquête sera redonné aux enquêteurs, qu’il s’agisse de ceux de la Sécurité publique, qui sont noyés actuellement, ou de ceux de la Police judiciaire à qui il faut laisser leur spécificité.

Le projet tel qu’il est conçu revient à noyer un service spécialisé dans un service généraliste. Imagine-t-on, pour renforcer un service d’urgence débordé dans un hôpital, supprimer un service spécialisé en chirurgie ?

Le seul mérite de ce projet de réforme annoncée est de fédérer, en réaction, enquêteurs et magistrats et de lancer un débat qui concerne tous nos concitoyens : quelle police judiciaire voulons-nous ?

 

Article 20 du Code de procédure pénale

Note interne de la DGPN, transmise le 01/09/2021, au ministre de l’Intérieur.

« Police judiciaire du futur : de nouvelles enquêtes », 10/02/2021, sur le blog memopj.fr

Il existe, dans notre procédure pénale, une particularité, que l’on pourrait qualifier d’archaïsme au sens linguistique du terme, qui apparaît pourtant en première place du Code de procédure pénale (le 1° de l’article 16), avant même l’énumération classique des gendarmes et policiers : il s’agit de la qualité d’officier de police judiciaire des maires et de leurs adjoints.

Cette qualité remonte à la Révolution française et a été confirmée par le Code d’instruction criminelle de 1808. Pourtant, personne ne la remarque ou ne veut réellement la remarquer, sauf à l’évoquer pour évacuer cette question sans réelle discussion, en parlant de désuétude ce qui n’est pas une notion très juridique.

On perçoit la gêne, pour ne pas parler d’hypocrisie, dans la réponse à la question d’un sénateur sur le « pouvoir de police judiciaire des maires et leurs adjoints » pour laquelle d’ailleurs le singulier, utilisé dans la formulation, interroge. La réponse du ministère de l’Intérieur, publiée au Journal officiel du 27/06/2013, rappelle très classiquement la mission des officiers de police judiciaire qui est « de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs » avant de prendre un exemple dans le domaine des chemins ruraux. On y souligne que le maire peut constater l’installation irrégulière d’une clôture sur un tel chemin. L’exemple est révélateur d’un manque d’ambition…

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10/03/2011 (N°2011-625 DC), avait montré une certaine réticence en parlant « de contrôle direct et effectif de l’autorité judiciaire sur les officiers de police judiciaire chargés d’exercer les pouvoirs d’enquête judiciaire » ce qui n’est bien sûr pas le cas du maire et de ses adjoints qui ont cette qualité en tant qu’agents de l’État, sans qu’il y ait besoin d’une habilitation par le procureur général comme c’est le cas pour les autres OPJ, cela serait contraire à la séparation des pouvoirs.

La plénitude des pouvoirs de police judiciaire.

Le maire et ses adjoints sont donc OPJ de droit. Ils sont également OPJ de plein exercice : les procès-verbaux qu’ils pourraient dresser pour constater les infractions auraient la même force  probante que ceux dressés par les OPJ de la gendarmerie ou de la police. Ils peuvent, pour cela, avoir communication des informations contenues dans le fichier d’immatriculation des véhicules.

Ils sont même tenus, lorsqu’ils ont connaissance d’un crime ou d’un délit, d’aviser sans délai le « procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » (Art. 40 du Code de procédure pénale).

En retour « le maire est informé par le procureur de la République des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions signalées par lui en application du second alinéa de l’article 40 du même code » et, par ailleurs, « le maire est informé sans délai par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie nationales des infractions causant un trouble à l’ordre public commises sur le territoire de sa commune » (Art. 132-3 du Code de la sécurité intérieure).

Pour autant, le maire ne peut pas classer des procédures, ni donner « des instructions à des policiers municipaux placés sous son autorité, de ne pas constater certaines contraventions qu’il leur appartenait cependant de relever dans le cadre de leur mission d’agents de police judiciaire adjoints, qu’ils exercent sous la seule autorité du procureur de la République » (Crim. 21/03/2018 N°17-81.011).

Et la tentation peut exister de se mêler des enquêtes en cours. Je me souviens, jeune procureur de la République, avoir été confronté au maire d’une commune de moyenne importance que j’avais dû appeler pour lui demander d’arrêter de faire le siège du commissariat de sa ville en se prévalant de sa qualité d’OPJ pour faire remettre en liberté un de ses administrés, placé en garde à vue. L’argument que j’avais trouvé pour le faire renoncer à ses prétentions procédurales mal comprises avait été le suivant : « Monsieur le maire, si vous insistez je vous chargerai, lors de la prochaine autopsie, de la rédaction du procès-verbal d’assistance ».

Le maire ne peut pas non plus interdire aux policiers municipaux d’aviser l’OPJ de l’existence d’une infraction sauf à commettre le délit d’abus d’autorité par une personne exerçant une fonction publique (Crim. 05/02/2013 N°12-80.081). « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (Art. 432-1 du Code pénal).

Le maire ne peut pas non plus s’octroyer, par arrêté, un port d’arme : « considérant, d’autre part, que la qualité d’officier de police judiciaire que les maires et leurs adjoints tiennent de l’article 16 du Code de procédure pénale ne leur confère pas, par elle-même, le droit d’acquérir et de détenir des armes entrant dans le champ d’application du décret du 6 mai 1995 en dehors des conditions limitatives énoncées à l’article 25 de ce décret » (Cour adm. d’appel de Paris, 24/09/1998, N°97PA01074).

Ces rappels montrent toute l’ambiguïté de la question. Sans avoir beaucoup d’imagination on peut penser qu’un jour un maire, en désaccord avec le commandant de gendarmerie ou le commissaire de police décide, en se prévalant de sa qualité d’OPJ, d’ouvrir et de conduire, avec la police municipale dont il est l’autorité hiérarchique directe, une enquête sur un trafic de stupéfiants dans un secteur de sa commune ? Cela mérite réflexion à l’heure où les polices municipales montent en puissance.

Police – Fiction

« Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité »

Niels BOHR, physicien danois

 

 

Ce binôme de policiers a été choisi pour tester la nouvelle procédure d’enquête modélisée : l’E.P.A.O dont l’acronyme signifie « enquête pénale assistée par ordinateur ».

Le logiciel a été développé dans le cadre de recherches visant à établir un protocole d’enquête Il a été mis au point pour améliorer le standard des enquêtes de police en proposant un chemin d’investigations adapté au type de l’enquête. Il propose des actes à accomplir avec des trames déjà remplies contenant les données recueillies de manière à éviter les saisies répétitives qui sont fastidieuses, chronophages et susceptibles d’introduire des erreurs.

Cet outil propose des fonctionnalités, identifiées par des icônes propres à chaque action, qui recouvrent le travail classique de l’enquêteur dans chacune de ses composantes, de façon à ne rien oublier grâce aux suggestions d’actions et à l’automatisation proposée  des requêtes.

Chaque icône correspond à une tâche de l’enquêteur : les comptes rendus hiérarchiques, le recueil des preuves lors des constatations sur le terrain, les auditions réalisées, les recherches dans les différents fichiers, les réquisitions auprès des opérateurs téléphoniques, des sociétés d’autoroute, des banques, tout en respectant les formes juridiques prescrites de façon à sécuriser ces actes juridiques pour éviter les annulations de procédure.

***

Le test en situation réelle a été décidé comme suit : une affaire délictuelle sans enjeu qui n’aurait pas justifié un traitement policier approfondi, traitée en solo et une affaire criminelle normale, traitée en duo, enquête classique et enquête assistée par ordinateur, l’idée étant de pouvoir comparer les deux méthodes de travail et de ne pas prendre le risque d’un échec avec une méthode nouvelle non testée en réel.

***

Le binôme d’enquêteurs est des plus classiques : un policier chevronné mais peu adepte des nouvelles technologies informatiques et son jeune collègue, de la génération Y, né avec une souris dans les mains et des écouteurs dans les oreilles, mais sans grande expérience policière.

Le kit qui leur a été remis est constitué d’une tablette du commerce qui a été dédiée au logiciel et d’un téléphone de service, version moyen de gamme d’un smartphone, sur laquelle l’application a été installée.

***

C’était la troisième fois en quelques mois que des brebis étaient dérobées à la jeune éleveuse. Une affaire purement locale qui ne mobilise pas habituellement la police en raison du faible préjudice. L’occasion rêvée de tester le nouvel outil sans grand risque pour trois brebis volées.

En arrivant sur les lieux de cette bergerie isolée, les traces de pneumatiques fraîches dans le sol détrempé sont visibles. Elles ne sont pas celles du véhicule de la bergère. Pendant que le jeune policier recueille, avec la fonction dictaphone du logiciel installé sur le smartphone de service, la plainte de celle-ci, son collègue, avec la tablette, suit le processus proposé d’état des lieux : des clichés de la scène d’infraction du général au particulier avec la tablette selon un ordre proposé avec des pré-légendes à compléter par remplissage des cases. Pas besoin d’attendre le déplacement de l’Identité Judiciaire puis ensuite le temps d’impression des photographies pour constituer l’album d’état des lieux. La scène d’infraction est parfaitement géolocalisée, indice par indice (comme les policiers eux-mêmes…). Un plan à l’échelle peut être généré automatiquement en cas de besoin.

Le jeune enquêteur fait signer électroniquement à la victime son audition-plainte. Elle n’aura pas ainsi à se déplacer au commissariat. Le document est télétransmis au service d’exploitation des archives pour indexation. En retour, après l’extraction des données factuelles classiques (temps, lieu et mode opératoire) d’éventuels rapprochements avec des faits similaires seront envoyés au directeur d’enquête.

Le vieux policier s’intéresse maintenant aux empreintes dans le sol. Avec le classique test centimétrique il aura l’échelle de ce qu’il photographie et avec le nouveau test colorimétrique des comparaisons chromatiques, bien utiles sur des traces de peinture ou des morceaux de textiles retrouvés, pourront être effectuées plus tard, en laboratoire.

Le modèle de sculpture des pneumatiques et le niveau d’usure apparaissent clairement sur les clichés pris grâce aux réglages en macrophotographie, de même que les empreintes d’une paire de chaussures de travail.

L’écartement entre les roues est calculé précisément par le logiciel grâce à l’échelle centimétrique. La mesure est instantanée et couplée avec une base de données automobiles.

« Chère demoiselle, connaissez-vous quelqu’un dans les environs qui utiliserait un fourgon Peugeot J5 ? » demande le chef de l’enquête.

Elle n’avait pas osé parler de ses soupçons, faute de preuve, mais à quelques kilomètres de là un marchand de bestiaux à qui elle avait refusé de vendre ses brebis possède une bétaillère J5 de couleur blanche.

En moins d’une heure, les constatations sur place sont terminées et les deux policiers rentrent au service en passant chez le maquignon.

Le fourgon est garé devant l’enclos. Les enquêteurs, avant de frapper au domicile, examinent le dessin des pneumatiques du véhicule stationné sur la voie publique qu’ils photographient avec la tablette. Le résultat positif s’affiche instantanément sur l’écran.

L’homme à la blouse grise des acheteurs de bestiaux, intrigué, observe depuis le perron. Les policiers s’approchent et lui demandent la permission de prendre en photo ses chaussures boueuses laissées à l’extérieur. Même résultat positif avec les traces de pas photographiées.

Le maquignon est emmené au commissariat séance tenante pour être interrogé avant de revenir effectuer une perquisition avec la bergère capable de reconnaître ses bêtes.

La rapidité de la résolution de cette affaire fait le tour immédiatement des services et suscite, comme toujours, scepticisme et jalousie chez certains.

En croisant dans l’escalier son collègue des stupéfiants qui lui lance « Tiens, toi qui a toujours une solution, j’ai besoin d’un interprète en serbo-croate pour notifier une garde à vue tu peux m’aider? ». Le vieil inspecteur comprend l’ironie de la question. La réponse au grincheux ne se fait pas attendre : « Bien sûr, j’ai cela sous la main ». Il consulte la tablette à la rubrique interprètes et notifications. « J’ai aussi en soninké si tu veux ». C’est la langue qui suivait la table alphabétique. Et il fait écouter la notification verbale, en serbo-croate, des droits du gardé à vue et lui envoie, par mail, le procès-verbal automatiquement établi.

***

Un jeune homme vient d’être abattu dans le centre-ville par des tirs d’AK 47 et de pistolet automatique.

En arrivant à la station-service, notre duo d’enquêteurs laisse les constatations à l’identité judiciaire car même si les fonctionnalités de l’outil ont été validées par l’enquête précédente s’agissant de ce point, le rôle des équipes de police scientifique demeure pour effectuer les révélations de traces et empreintes et leurs prélèvements physico-chimiques. Il sera temps plus tard que ces techniciens intègrent les nouvelles possibilités de l’E.P.A.O. dans leur travail.

La tablette et le smartphone auront rapidement permis d’entendre les quelques témoins oculaires ou auditifs qui se sont signalés (identifiés parce qu’ils avaient appelés le numéro d’urgence de la police ou parce qu’ils étaient restés sur les lieux).

Ils sont rapidement entendus par procès-verbal d’audition numérique électroniquement signé sur place. Comme toujours il n’y a pas grand-chose à tirer de gens qui ont entendu ce qu’ils ont pris au départ comme étant des pétards puis aperçu deux silhouettes sombres, casquées et gantées s’enfuir sur un scooter qu’on ne tardera pas à retrouver à proximité, incendié, et dont l’origine frauduleuse ne permettra pas de trouver d’indices matériels.

Le logiciel d’enquête permet de dresser la carte des immeubles ayant une vue directe sur la station-service pour rechercher plus tard, de façon systématique, d’éventuels témoins qui, auparavant, auraient pu repérer quelque chose de suspect sans en prendre conscience.

Le film de vidéosurveillance, remis par l’exploitant de la station essence, est téléchargé dans la tablette, sur les lieux. Son exploitation va pouvoir être comparée aux images de vidéosurveillance du centre de supervision urbain demandées par mail. La réquisition mentionne les numéros des caméras périphériques au lieu du crime pour une première exploitation des images des caméras.

Le champ de couverture des caméras de la ville a été rentré lors du paramétrage local du logiciel à l’occasion de son téléchargement.

Dans un deuxième temps, quand le deux-roues monté par le commando de tueurs, sera repéré sur les images, une recherche par la fonction de filature rétrograde permettra de retrouver le trajet antérieur avec, on l’espère, un élément d’identification (un lieu de départ, un véhicule non volé pour déposer le pilote ou le passager…).

Le même travail sera fait lorsque le scooter sera retrouvé incendié, même si là, les chances sont plus faibles car les lieux déserts manquent de couverture vidéo. Toutefois il n’est pas exclu de voir le passage, sur un carrefour giratoire équipé de caméra, du scooter puis, quelques minutes plus tard, le passage, dans le sens inverse, de la voiture relais monté par deux, voire trois, personnes qui ne sont plus masquées cette fois.

Une autre action conservatoire classique que l’outil permet d’exécuter automatiquement est le gel des bornes téléphoniques des lieux. La cartographie des zones couvertes par les différents relais des opérateurs est disponible en positionnant sur le plan le lieu des faits (et plus tard le lieu de découverte du scooter volé puis, dans un troisième temps, le lieu de vol du scooter). Les mails de réquisitions aux services juridiques des opérateurs sont transmis pour pouvoir disposer des trafics de connexion des communications électroniques (voix et datas) pour effectuer rapidement le croisement des données.

Le travail d’analyse du trafic sera poursuivi par le croisement des données de l’itinéraire d’arrivée, de l’itinéraire de fuite puis de l’itinéraire de recueil post-incendie par le gel puis l’analyse du trafic des nouvelles bornes qui couvrent ces itinéraires mis en évidence par la vidéo (voire, plus exceptionnellement par un témoignage recueilli).

L’enquête va se poursuivre avec l’outil informatique qui permet ce travail itératif successif qui est le secret de l’enquête pénale réussie.

 

Ma tribune, parue dans le Figaro du 28/01/2021, sur les causes de la perte d’attractivité de la police judiciaire

 

Dans une décision du 16/12/2020 (N°18-25.196), la chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé que l’apposition d’autocollants reproduisant les blasons des départements et des régions sur la partie droite des plaques d’immatriculation des véhicules ne respectait pas la réglementation applicable.

La cour d’appel de Paris avait eu une analyse différente, rappelant que « l’article R.317-8 du Code de la route se borne à imposer aux véhicules à moteur la présence de deux plaques d’immatriculation, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière, maintenues en bon état d’entretien, dont les caractéristiques et le mode de pose sont fixés par arrêté conjoint des Ministres de l’Intérieur et des Transports » et que cet arrêté « se borne, quant à lui, à préciser notamment que les plaques d’immatriculation et les matériaux réfléchissants utilisés pour leur fabrication doivent être conformes à un type homologué par le Ministre des transports, les dimensions de la plaque d’immatriculation, dont la partie centrale est dédiée au numéro d’immatriculation lui-même en noir sur fond rétro-réfléchissant blanc, tandis que la partie gauche est dédiée au symbole européen complété par la lettre « F » sur fond bleu rétro-réfléchissant et que la partie droite est dédiée à l’identifiant territorial au choix du titulaire du certificat d’immatriculation, constitué du logo officiel d’une région et du numéro de l’un des départements de cette région, sur fond bleu non obligatoirement rétro-réfléchissant ».

L’affaire est née d’une action en concurrence déloyale intentée par certaines entreprises de fabrication de plaques d’immatriculation contre des diffuseurs en ligne d’autocollants de logo de départements ou de régions à apposer soi-même sur la partie droite réservée à l’identifiant territorial librement choisi par le propriétaire de la voiture.

La conséquence pénale, si l’on suit le raisonnement de la chambre commerciale, est que l’apposition d’un tel autocollant constituerait une contravention de quatrième classe pour mise en circulation d’un véhicule avec une plaque non conforme (amende encourue de 750 €). Mais, en cas de poursuites pénales, ce serait à la chambre criminelle de la même Cour de cassation de dire le droit. Et, en cas de désaccord, il appartiendrait à une formation commune de départager, une chambre mixte composée de magistrats des chambres commerciale et criminelle.

Il existe, en latin, un adage : « de minimis non curat praetor » qui pourrait se traduire librement par « on ne dérange pas la Cour pour des prunes ». Et bien si, là, justement on la dérangerait.

VOIR LE PDF

A la suite d’un accident corporel avec un cycliste, une automobiliste a été déclarée coupable et condamnée à une peine et, sur le plan civil, à des dommages-intérêts à verser à la victime. Elle n’a pas fait appel des dispositions pénales du jugement mais, avec son assureur (qui lui avait fourni un avocat dans le cadre de son contrat d’assurance), elle a fait appel des dispositions civiles du jugement. L’assureur contestait l’existence de certains dommages indemnisés par le tribunal (les lunettes, un téléphone, une montre, des vêtements portés par le cycliste) et entendait limiter le préjudice lié à la bicyclette (un modèle professionnel haut de gamme brisé en deux parties) par l’application d’un coefficient de vétusté et une notion de marché de l’occasion.

 

Dans son arrêt, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rappelé une notion bien souvent oubliée des assureurs : le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par la victime d’une infraction pénale : « Le principe de réparation intégrale du préjudice commande d’accorder, au choix de la partie civile, soit la réparation du bien endommagé, soit son remplacement par un bien neuf identique; qu’en décider autrement reviendrait à vider de son sens ce principe; que l’application d’un coefficient de vétusté ou l’utilisation d’une notion de marché de l’occasion conduiraient à pénaliser une victime privée de son bien par un événement à laquelle elle est complètement étrangère » (Aix-en-Provence, 7ème chambre B, 25/11/2016, reproduit intégralement ci dessous).

 

L’assureur ne s’est pas pourvu en cassation. Soit il a été convaincu par la motivation (j’en doute), soit il a craint l’affirmation de ce principe par la Cour de cassation (avec la publicité qui en résulterait), principe essentiel qui vise à empêcher la survictimisation de victimes.


Hors procédure – Dans la tête d’un juge d’instruction.

« Perquisition au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré », à Paris. C’est la seule indication que le juge Ramaël donne au parquet pour annoncer sa venue à l’Élysée le 22 juillet 2008. Entré presque par effraction dans le saint des saints du pouvoir exécutif, il repart, le dossier qu’il recherchait sous le bras, après des échanges tendus avec les occupants des lieux.

Quel est le quotidien ordinaire et extraordinaire d’un juge d’instruction?
Comment fonctionne réellement un cabinet d’instruction ? Quelles stratégies mettre en place dans les dossiers qui se heurtent à la raison d’État? Quel est le prix à payer pour être un juge indépendant ?

Des mandats d’arrêt lancés à l’encontre des dignitaires marocains dans le cadre de l’enquête
sur la disparition de Mehdi Ben Barka aux confrontations avec le couple Gbagbo, en passant par la violence et les drames ordinaires, ce témoignage unique fait pénétrer le lecteur au coeur
du quotidien d’un cabinet d’instruction. Avec un constant souci d’intégrité, le magistrat dévoile les coulisses de la justice, ses méthodes personnelles, ses doutes et ses difficultés.

300 pages

9.90 €